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Text on the work in general

By Karine Tissot (French, Dec. 2010)

Hic et nunc.


Il est inhabituel lors de la visite d’un atelier d’artiste d’être plongé dans la pénombre pour y découvrir son travail. Et pourtant, l’univers d’Andreas Kressig ne se découvre qu’à la lecture des formes dessinées par des diodes lumineuses disposées ici et des spots projetés là. Loin des verrières à l’ancienne permettant l’arrivée maximale de la lumière, l’atelier d’Andreas Kressig se découvre au fond d’un entrepôt industriel chargé d’histoire. C’est dans une niche au bout d’un couloir qu’il s’est aménagé il y a des années une mezzanine pour atelier. Là, il accumule dans le désordre matériaux de récupération, outils mécaniques ou informatiques, idées, photographies, objets, projets et œuvres terminées. Cet atelier constitue en soi une installation et offre toutes les clés à la compréhension de son travail présenté dans le cadre d’une exposition. À la lumière de dispositifs entrecroisés dans un même espace, un scénario se raconte et s’enrichit de micro scènes qui se découvrent comme des chapitres intermédiaires.


Entre sauts d’échelle et temporalités variables, son travail s’appuie sur les dernières technologies des transports aériens, sous-marins, terriens. Ainsi, les modèles réduits de trains, de sous-marins ou d’avions sont orchestrés dans des circuits augmentés de composants propres à notre temps, tant par leur contemporanéité que par leur hétérogénéité : des diodes, des paillettes, des câbles, des écrans. Il est dès lors possible de rencontrer une voiture de taille réelle recouverte de cheveux (Art Chêne, 2008) ou des maquettes de sous-marins laqués de vernis à ongles (Kisses, 2010) qui, dans tous les cas, soulignent une animalisation de la machine. Jouant du petit, il sait aussi verser dans le monumental en érigeant un échafaudage de chantier au centre d’une galerie comme pour en proposer une lecture ascensionnelle menant vers un ailleurs (Marines, Palais de l’Athénée, 2008). Les répertoires du cinéma ou de la littérature posent le cadre d’un vocabulaire visuel qui trouve un terrain fertile tant dans l’imaginaire du spectateur que dans le temps de l’exposition. Car les dispositifs de Kressig ne sont qu’émergents à l’ouverture de ses expositions, constitués de quelques pièces assemblées en atelier. Ils connaissent ensuite un développement sans précédent qui n’a d’évolution possible que pendant le temps de leur présentation au public.


Les déplacements dans son travail s’opèrent aussi bien dans la découverte d’une installation elle-même en mouvement que dans la transition qui se joue entre différents matériaux. Par effet de strates, ces derniers s’énoncent comme des patchworks dans des réseaux labyrinthiques, improbables ou énigmatiques, mis en lumière par des projections invitant tout à la fois au spectacle, à la surveillance ou au fantasme d’une fiction qui ne colle pas directement à la réalité. Le tout le plus souvent, comme son atelier, plongé dans une semi-obscurité. Seul élément réel dans toutes ces compositions, la présence du visiteur en ces lieux, témoin d’un rêve éveillé, invité à participer à un imaginaire. Un imaginaire qui n’est jamais destitué de préoccupations écologiques et, partant, d’un scénario parfois alarmiste, à la limite de la catastrophe. Entre l’énergie créatrice liée à la symbolique même de la lumière et l’énergie destructrice véhiculée par les techniques de guerre, les dispositifs montés par Kressig s’ouvrent à différentes interprétations qui ne font sens que dans la mise en tension de ces oppositions. Les sous-marins peuvent réveiller des souvenirs d’accidents subaquatiques et des questions liées au nucléaire quand l’installation de Marines évoque fortement les plateformes pétrolières. Enfin, l’emploi des diodes traduit une conscience actuelle de l’utilisation mesurée de l’électricité loin des élans esthétiques et peu raisonnables de ses premiers travaux (Série I, 1992-1993) qui mettaient à l’œuvre un travail puissant de lumière – mais désormais anachronique. La maîtrise de la puissance précisément – qu’elle soit politique, économique, énergétique – se lit en filigrane dans ses travaux dominés par un sens de la composition qui sait s’adapter tant aux contraintes physiques d’un espace qu’à celles de la durée d’un film : le moyen-métrage Cairo Maybe (Rodeo12, 2009) adopte un langage emprunté aux simulateurs d’avions et joue sur le traumatisme du 11 septembre 2001 en faisant défiler des avions projetés sur les vitres d’un appartement au plein centre ville.


Le travail de Kressig consiste en définitive en architectures éphémères qui transforment entièrement la perception de l’espace investi et la façon dont le spectateur investit à son tour l’exposition elle-même. Depuis peu, l’artiste se tourne plutôt vers la production d’éditions, dérivées de ses univers complexes, comme pour communiquer au-delà des sphères de l’atelier ou de l’exposition qui le cantonnent aux paramètres stricts du hic et nunc.


Karine Tissot, décembre 2010