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Text on the work in general

By Marie-Eve Knoerle 
(French, 2008, written for the catalogue of the exhibition Marines)
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Détails


Andreas Kressig a emprunté l'appellation d’un acte de création performatif, l’improvisation, qu’il a transcrit en un médium d’art plastique. Définir en quelque mots cette pratique se résume à dire que l’œuvre n’existe que le temps de l’exposition, à partir d’éléments rassemblés sur place. Elle n’est pas déplaçable mais ajustée à l’espace d’exposition ou au site. Souvent peu préméditée dans sa finalité, l’œuvre se crée véritablement, s’appréhende et s’explique sur le vif. Elle se compose d’une constellation de détails qui la rendent complexe et difficilement déchiffrable dans un premier temps. « Improviser » se justifie par l’aléatoire qui participe au processus de recherche et de mise en place ; un hasard finalement récupéré et intégré.


L’acte de nommer, d’intituler, de cataloguer, joue d’ailleurs un rôle important dans le travail de l’artiste, pour le définir ou pour se définir. Dans les titres de ses œuvres notamment, il joue avec les termes, les relations de sens et les mots cachés, pour en extraire plusieurs significations. Un répertoire de signatures définit encore la nature de ses œuvres : « kreand » est sa signature informatique, le travail qu’il réalise à l’aide d’imprimantes ou de logiciels d’animation ; « Kressig A.G. » est un résumé de l’entreprise presque familiale qui est mis en œuvre pour l’élaboration du travail.


L’« improvisation plastique » est la pratique la plus courante de l’artiste depuis quelques années. A l’intérieur de ce processus sont regroupées d’autres formes d’expressions artistiques : l’animation (prise à la lettre : une image fixe mise en mouvement par un logiciels 3D dont résultent des photos animées ; la programmation ou l’utilisation de simulateurs) ; le dessin (signes, motifs ou représentations, imprimés en A4) ; enfin, la réalisation de sculptures-objets qu’il nomme « vecteurs ». Ce sont des ready made accrochés à l’horizontal et faisant directement face à l’œil du spectateur, provoquant ainsi une agression frontale du regard telle un éclat de lumière.

En parallèle, il crée des aménagements d’espaces tels que café, atelier, lieu de fête, défilé de mode, etc.


L’« improvisation plastique » comprend, elle, quelques sous-catégories : une « improvisation pure » n’utilise aucun élément extérieur au contexte d’intervention, une « improvisation hybride » comprend une part de préparation et les « improvisations hybrides réactives » incluent des éléments interactifs.


Dans la démarche in situ d’une « improvisation plastique », l’artiste utilise le contexte de l’espace donné (ou de l’emplacement choisi dans le cadre d’une exposition collective) comme une situation de départ, en particulier les éléments qui s’y trouvent et qu’il peut récupérer pour y raccrocher les éléments extérieurs. Il s’est constitué un stock d’objets trouvés et ajoute des pièces empruntées. La technique est celle de l’assemblage, sans modification des objets utilisés. Matières réfléchissantes, miroirs, bâches, caoutchouc, etc., sa palette se situe dans les tons froids. La lumière, élément important de ses œuvres, l’intéresse en tant que condition essentielle du processus de perception. Pourtant, rarement, elle est utilisée pour focaliser le regard sur un élément particulier ; l’artiste la contrôle et décline ses effets : une programmation régit le plus souvent les différents types de lumières et autres images projetées à travers l’espace. Nouvelles générations de diodes lumineuses, lampes de signalisations ou flashs, certaines lampes prennent la valeur d’objet, imitent quelque élément naturel. Avec ses subtilités de teintes ou de chaleur, la lumière complexifie la palette.


Plus une narration croisée entre objets, lumières et images fixes ou animées qui remplissent l’espace, qu’une idée exposée, chaque « improvisation » contient plusieurs pistes de lectures dont le sens peut émerger de manière autonome, accidentellement, à posteriori. Un thème ou un fil rouge sont prémédités mais l’installation des éléments se joue finement durant la période de montage, évoluant, se précisant au cours de l’avancée du projet ; un souci de l’esthétisme et un équilibre intuitif dictent l’ajout ou le retrait d’éléments.


L’organisation de tous ces éléments, leur mise en relation, sont fréquemment illustrées par le recours à des grilles ou à des échafaudages qui quadrillent l’espace, le structurent et offrent ainsi des « lignes conductrices ». Dans l’« improvisation » Fukugo (Kyoto, 2005), l’artiste a matérialisé les liens entre les choses en utilisant des cordes et des câbles qui tissent un réseau. Ce qui peut évoquer l’investissement emblématique d’un espace d’exposition par un mile de cordes (Marcel Duchamp, Mile of String, dans le cadre d’une rétrospective du Surréalisme à New York en 1942) : le geste visait à contraindre l’accès aux oeuvres mais créait par une extension de sens contemporaine, l’image d’un réseautage dans l’espace et par là même des objets de l’exposition.

A. Kressig joue d’ailleurs également sur la notion d’obstacle, physique ou visuel ; les grilles, les cordes ou les câbles placés dans les installations, provoquent un conditionnement du corps du spectateur, telle cette toile de fils de fer qui demande un basculement du corps à l’entrée de Dreck Für Kettensäge (Stuttgart, 2003). D’autres obstacles encore, ceux-là visuels, se dressent entre les projections lumineuses et provoquent des jeux d’ombres.


Une profusion de détails, intégrés au risque qu’ils passent inaperçus et auxquels l’artiste attribue des significations propres, complexifie l’approche de l’assemblage final. L’intérêt pour ces détails rejoint une attitude d’observation soutenue, à l’affût d’insolite, que l’artiste fait de son quotidien et au cours de ses voyages, se créant un répertoire imposant de photographies, cadrages de visions subjectives.

Les détails anecdotiques, références personnelles, associations libres, rapprochements formels ou autres clins d’oeil se cachent donc dans les recoins de l’œuvre. Ainsi, pour lister quelques exemples, dans Kuza, oeuvre autour du thème du train (Kyoto Art Center, 2006), une boîte d’emballage de modèles réduits est exposée à l’envers. La marque « kato » devient « otak » qui en japonais, prononcé « otaku », est proche du terme « fan » se rapprochant de quelque idolâtrie émanant de l’ambiance de l’oeuvre. Dans Dreck Für Kettensäge (Stuttgart, 2003), un sac plastique orné de deux bandes rouge et bleu, sur lequel sont disposées des chaussures, évoquant tout à la fois la gare de déportation voisine du lieu d’exposition et le dépôt de chaussures à l’entrée d’une maison japonaise où se déroulerait une fête, se lit comme un drapeau à double nationalité selon l’orientation du spectateur. Une image poétique de mer où flotte une forme indéfinie, éclairée par un tube lumineux qui avance vers l’image, est une allusion critique à la pratique de chasse à la baleine alors que l’artiste réside au Japon (L’épervier, Piano Nobile, Genève 2003). Dans la même œuvre, des leds clignotantes, placées en grappe imitant des lucioles japonaises sont mises en parallèle avec le même type de lumière verte appartenant à un rasoir. Une bande caoutchouc qui pend dans une construction métallique, reste d’intention d’une autre installation, peut soudain activer la vibration des grilles et rappeler une corde de clocher (Flashback ; Galerie Stargazer, Genève, 2007). Avec ces énigmes, l’artiste pousse le spectateur à regarder sous, au-delà ou derrière les éléments disposés.


L’expérience d’une « improvisation plastique » de A. Kressig pour le visiteur joue sur la simultanéité de plusieurs micro événements, provoquant une suite d’impressions. Il y a un tout à considérer : l’assemblage est l’œuvre, non les objets qui le constituent. Pourtant, chaque élément a sa raison d’être et peut indiquer une nouvelle direction. L’artiste défie les limites de l’œuvre d’art.

En proposant des détails troublants et en rendant l’accès à ses oeuvres contraignant, au propre comme au figuré, l’artiste parie encore sur la réception de son travail. Jusqu’où l’observateur peut-il tirer des liens, découvrir les intentions sous-jacentes ; dépasser une certaine fascination d’un esthétisme subtilement travaillé.


Marie-Eve Knoerle, janvier 2008